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ÉCLAIRCIE
L'océan resplendit sous sa vaste
nuée. L'onde, de son combat sans cesse exténuée, S'assoupit, et, laissant
l'écueil se reposer, Fait de toute la rive un immense baiser. On dirait
qu'en tout lieux en même temps, la vie Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la
nuit, l'envie, Et que le mort couché dit au vivant debout : Aime ! et
qu'une âme obscure, épanouie en tout, Avance doucement sa bouche vers nos
lèvres. L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres, Ouvrant
ses flancs, ses seins, ses yeux, son cœur épars, Dans ses pores
profonds reçoit de toutes parts La pénétration de la sève sacrée. La
grande paix d'en haut vient comme une marée. Le brin d'herbe palpite aux
fentes du pavé ; Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé. L'infini
semble plein d'un frisson de feuillée. On croit être à cette heure où la
terre éveillée Entend le bruit que fait l'ouverture du jour, Le premier
pas du vent, du travail, de l'amour, De l'homme, et le verrou de la porte
sonore, Et le hennissement du blanc cheval aurore. Le moineau d'un coup
d'aile, ainsi qu'un fol esprit, Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit
; L'air joue avec la mouche, et l'écume avec l'air ; Le grave laboureur
fait ses sillons et règle La page où s'écrira le poème des blés ; Des
pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés ; L'horizon semble un rêve
éblouissant où nage L'écaille de la mer, la plume du nuage, Car l'océan
est hydre et le nuage oiseau Une lueur, rayon vague, part du
berceau Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière, Dore les champs,
les fleurs, l'onde et devient lumière En touchant un tombeau qui dort près du
clocher. Le jour plonge au plus noir du gouffre et va chercher L'ombre, et
la baise au front sous l'eau sombre et hagarde. Tout est doux, calme,
heureux, apaisé ; Dieux
regarde.
VICTOR HUGO
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