LES MASQUES
-1- LE
POUVOIR
Son regard survole sans les voir Le troupeau des petites
gens. Les volutes de son cigare Ne filtre que ses relations L'avis des
autres est un miroir Qui lui renvoie l'admiration Des jaloux devant sa
jaguar, Ses maîtresses, sa situation. Il s'amuse des tristes
regards Qui reflètent la soumission Et écrase cynique sans égards Les
tentatives de rébellion. La réussite et le pouvoir Les deux masques lui
vont comme un gant Même si dégoût et désespoir Hantent
ses rêves de temps en temps.
-2- LE
RIGOLO
A l'atelier ou au bureau Sa désinvolte attitude, Sa bonne
humeur sont des rideaux Paravents à sa lassitude. Il se sent comme sur un
îlot Même au milieu des multitudes Entouré par d'étranges maux Qui
l'encercle de solitudes. Les rires gras comme un écho Répondent pourtant
comme d'habitude Aux bons comme mauvais jeux de mots Qu'il livre aux
sollicitudes. Derrière le masque de rigolo Se dissimulent des
inquiétudes Qu'il échangerait aussitôt Pour un univers de
quiétude.
-3-
L'OTAGE
Obéissant à des messages Issus de discours ou
d'écrits Des traditions ou des présages A la pudeur d'étroits
esprits Enserrées dans un strict corsage Les formes sont mises à
l'abri Comme retenues en otage Préservées des yeux ennemis Qui ne
garderont pas d'images Du corps maudit mis en oubli. Quand la nuit pousse
son avantage Avant qu'il ne soit endormi Le masque triste du corps trop
sage Rêve-t-il parfois de folie De s'abandonner bête sauvage A un corps avec frénésie
?
-4-
LE DUR
Il ne parle pas il agresse Est incapable de douceur Le
visage hermétique délaisse Les autres faces avec hauteur. Tans pis pour
les anges qui s'abaissent A l'envelopper de fraîcheur Il refuse les mots
qui caressent Les compliments, éloges, les fleurs De peur d'être tenu en
laisse Dans une niche de bonheur. Victime d'assauts de fausses
promesses Qui ont épuisé sa candeur Taillé sa bonhomie en
pièces Déchiré en morceaux son cœur Il a mis le masque de rudesse Pour n'avoir plus prise aux
malheurs.
-5- LE
VAINQUEUR
La balle pour quelques centimètres Frôle le but et le
dépasse Le masque du vainqueur change de tête La chance capricieuse se
déplace C'est la victoire ou la défaite Le front levé, la tête
basse Les rires, les chants, les bulles, la fête Les cris de joie au lieu
et place De la tristesse des mines défaites Renfrognées et devenues
lasses L'un est héros, l'autre lopette L'un est zéro, l'autre a la
classe Les caméras sur l'un s'arrête Ignore le perdant et le passe Le
masque du vaincu inquiète Celui du vainqueur a la
grâce.
-6- L'IRRASCIBLE
Il met le contact et démarre Dans le rétro la ligne des
yeux A fait place à un dur regard Est devenu un masque
haineux Vociférant sur les ignares Qui peuplent le goudron sinueux. Par
de rageurs appels de phares Et de coups de Klaxons teigneux Il interpelle
les chauffards Ceux qui conduisent comme des bœufs Oublieux de ses propres
écarts Il gesticule, insulte hargneux. De retour à la case départ Dans
le rétro la ligne des yeux A retrouvé le masque peinard De
l'homme normal jeune ou vieux.
-7-
L'ALCOOL
Est-ce pour tuer un ennui fol ? L'aide pour franchir un
premier pas Pour libérer la camisole Qui enserre un cœur en émoi Un
remontant qui grimpe les cols Quand le réel est au plus bas Une sensation
qui décolle L'inspiration qui ne vient pas. Patiente la déraison
rigole Le piège se referme sur sa proie Avec le masque de l'alcool Pour
un temps il s'est cru le roi. Mais le rythme des verres s'affolent Le
masque bascule vers l'effroi Le ridicule prend son envol Vers des sommets de
désarroi.
-8-
LE DEPRESSIF
La couleur de sa vie est rose Et il voudrait que le
miroir Des autres ne renvoie autre chose Que joie, gaieté dans les
tiroirs. Quand son humeur vire au morose Alors il fait toute une
histoire Si le cercle de la famille ose Avoir la face
jubilatoire. L'injustice des rires indispose Le dépressif qui broie du
noir Il ressasse, amplifie des causes Qui, bénignes, finissent
cauchemars. Derrière la façade qu'il s'impose Luttent et combattent des
désespoirs Jusqu'à ce que le masque explose Jeté dans les eaux de la Loire.
-9- LE VIEILLARD
HONORABLE
Appuyé sur sa canne il plie Son dos de vieillard
honorable. Lorsque le quidam compatit Aux vues de la démarche
instable D'une voix douce et attendrie Il cite les malheurs qui
l'accablent : Il a perdu son appétit, Il est un veuf
inconsolable… Quand sa promenade est finie Il saisit son verre sur la
table Avale un muscadet et puis Adieu le masque vénérable La pitié
jetée aux orties Place à l'irascible intraitable Qui faisait trembler sa
famille Avec ses colères
redoutables .
-10- LE MAUVAIS
PERDANT
Les victoires prises dans une spirale Il vole sur un
chanceux nuage. L'orgueilleux se la joue cordial, Condescendant pour
l'entourage La banane de son arc jovial Fige le beau fixe sur son
visage. Quand les résultats sont banals Qu'un grain de sable grippe les
rouages Le mauvais perdant au plus mal Change le masque de son
image. La mauvaise fois qui s'installe Remplace le sourire par la
rage. Parle de complot, malchance fatale Met en cause juge ou
arbitrage. L'éthique sportive et la morale Contre les coups bas font naufrage.
-11-
LES AMANTS
Les corps n'ont besoin de promesses Pour savoir qu'ils se
reverront Tant l'attraction les tient en laisse Comme les pôles d'un
aimant. Quitter volupté et caresses Pourtant est un déchirement Mais le
difficile, la prouesse Provient du masque de l'innocent Qu'il faut
enfiler en vitesse En retournant à la maison Afin qu'aucune trace ne
paraisse Qui puisse éveiller les soupçons Trahir l'amant ou la
maîtresse. Elle raconte des bobards, il ment Pour pouvoir re goûter
l'ivresse Des corps jouant les polissons.
-12-
LE BONHEUR
Le masque sans joie des résignés Avait retiré les
couleurs Du visage aux traits réguliers Semblant renoncé au meilleur Un
sourire triste congestionné S'efforçait de caché la peur Du vide de la vie
annoncé Sans perspective à la hauteur Puis un beau jour sont
arrivés Des messages annonciateurs D'un changement tant espéré D'un
avenir enfin rieur Le masque métamorphosé Dopé aux hormones du
bonheur Rayonnait de joie et beauté Contagieuse source de chaleur.
-13-
L'EDITO
Caché derrière des mots prudents L'édito
moralisateur Au quotidien livre les leçons En nourriture à ses
lecteurs Son discours sous-entend souvent Le respect de certaines
valeurs D'où seraient exclus vivement Les parvenus et les tricheurs Un
monde fraternel ou l'argent Ne serait pas le vrai moteur Ou le pauvre, le
faible, l'indigent Des lendemains n'auraient pas peur. Or pressé de
choisir son camp Elle a jeté son masque trompeur A rejoint le camp des
marchands La plume trempée de
déshonneur
.
-14 - LE
PENIBLE
Gosse capricieux il fait grand bruit Pour marquer son
apparition Il impose souvent son avis Est prompt à donner des leçons A
qui ne fait pas comme il dit, Qui n'agit pas à sa façon. Il exécute à
l'ironie Les plus faibles parmi les maillons Devant la cour de ses
amis Pour savourer leurs réactions. Pour masquer l'échec de sa
vie L'amer goût d'insatisfaction Des rêves brisés inassouvis Il fonce
dans toutes les directions Ou rien de sérieux n'abouti Juste pour vivre dans l'illusion.
-15-
LES GRIPPE-SOUS
Ils sont couples de commerçants Possèdent des logements
qu'ils louent. Il a hérité d'un parent Qu'il détestait par-dessus
tout. Ils gouvernent un état puissant, Privilégient ceux qui ont
tout. Derrière les masques avenants Se dissimulent de vrais
filous Prêts à d'étranges comportements Pour se procurer quelque
sous Piochés le plus légalement Du monde sans honte ni tabou Dans la
détresse et le tourment De pauvres hères déjà à bout. Il n'a pas de visage
l'argent Ni
d'odeur pour les grippe-sous
-16- LE TOMBEUR
Son seul regard est une insulte Envers le genre
féminin Il voit en toute femme une pute Née pour satisfaire ses
instincts Ses arrières-pensées n'ont qu'un but Soumettre un corps entre
ses reins. Assouvir des envies de rut Exige du coq du baratin Pour
parvenir à ce que chute La proie dans le piège du malin. Le masque du
tombeur exulte Quand le triomphe arrive enfin Aux oreilles des amis
incultes Qui portent aux nues le roi coquin. Pour eux celui-là est un
culte Et
elle seulement une putain.
-17-
L'ENFANT DE CHŒUR
Qu'importe la qualité du vice Alcool, sexe ou argent,
tricheur ? Où il s'adonne avec délice Nageant voluptueux sans
peur. Mais s'il est pris dans l'exercice De ses excès c'est la
frayeur La sueur dans son dos se glisse Le figeant idiot de
stupeur. Vite trouver un artifice Et jurer la main sur le cœur Que le
hasard avec malice A brossé un tableau trompeur. On lui accorde
l'armistice Au masque de l'enfant de chœur Puis quand se desserre la
vis Il replonge dans ses erreurs
-18-
LA SOUMISSION
Très tôt orpheline de sa mère Et déjà des
obligations. Une jeunesse solitaire En quête de miettes
d'affection. L'exode, les hasards de la guerre Un mariage puis sept
nourrissons Pas de temps pour les crises de nerf A pleurer sur sa
condition. Accepte de souffrir en prière Lui sermonne la religion. Elle
a compris qu'il faut se taire Pas de place pour la rébellion Abattue elle
a laissé faire Le sort avec résignation Acceptant jusqu'au cimetière Le masque de la soumission.
- Fin - LES
MASQUES
De belles façades distinguées Cachent bien des
comportements flous Les apparences sont tronquées Le sage se révèle être
fou Le grave parfois est décoincé Le drôle ne fait pas rire du tout Des
calmes se transforment énervés Des zens se découvrent jaloux Le risque
existe d'être dévoré Par de faux agneaux, de vrais loups Quand les héros
sont fatigués Les masques tombent tout à coup Comme les autres ils font
pitiés Comptant dans leurs poches les sous La vie est un grand bal
masqué Chacun avance derrière son loup.
|