Jules Supervielle (1884-1960)
 
 
Jules Supervielle est né à Montevideo le 16 janvier 1884;
Son père était béarnais, sa mère originaire du pays basque. Ils s'étaient expatriés pour fonder une banque. L'enfant n'avait que huit mois lorsqu'il vint au pays, Oloron Sainte Marie, amené par ses parents qui moururent, empoisonnés par de l'eau corrompue, à une semaine d'intervalle.
  Elevé pendant deux ans par sa grand-mère, l'enfant l'est ensuite par son oncle et sa tante en Amérique du Sud. Il passe une enfance heureuse.
 En 1894, après son retour en France il entre en sixième classique au lycée Janson-de-Sailly. Il compose ses premiers poêmes à partir de 1899.
 Il publie en 1900 une première plaquette de vers Brumes du passé.
 
A 23 ans il épouse, en Uruguay Pilar Saavedra qui lui donnera six enfants.
 Tous les 4-5 ans il fait un voyage en Uruguay.
Ses poêmes sont remarqués par Gide et Valéry
Il meurt à Paris le 17 mai 1960
 
      
 
 
 
 
 
 
Je cherche autour de moi plus d’ombre et de douceur

Je cherche autour de moi plus d’ombre et de douceur
Qu’il n’en faut pour noyer un homme au fond d’un puits.
Encore un peu de noir, d’étoiles, de fraîcheur,
Versez, mains, et vous, cils, votre restant de nuit.
Il est place pour vous
Dans ces rumeurs obscures
Encerclant à la fois
Le vivre et le mourir.
Il est place pour vous,
Approchez, tendre ami, aux lèvres étonnées,
Gardiennes du plaisir
Qui tourne loin de nous.
 
 
 
 
 
Coeur (extrait)
 
 
Beau visage de femme,
Corps entouré d'espace,
Comment avez-vous fait,
Allant de place en place,
Pour entrer dans cette île
Où je n'ai pas d'accès
Et qui m'est chaque jour
Plus sourde et insolite,
Pour y poser le pied
Comme en votre demeure,
Pour avancer la main
Comprenant que c'est l'heure
De prendre un livre ou bien
De fermer la croisée.
Vous allez, vous venez,
Vous prenez votre temps
Comme si vous suivait
Seuls les yeux d'un enfant.
 
 
 
 
 
 
 
 
Soleil
 
Soleil, un petit d'homme est là sur ton chemin
Et tu mets sous ses yeux ce qu'il faut de lointains.
Ne sauras-tu jamais un peu de ce qu'il pense?
Ah tu es faible aussi, sans aucune défense,
Toi qui n'a que la nuit pour sillage, pour fin.
Et peut-être que Dieu partage notre faim
Et que tous ces vivants et ces morts sur la terre
Ne sont que des morceaux de sa grande misère,
Dieu toujours appelé. Dieu toujours appelant,
Comme le bruit confus de notre propre sang.
 
Soleil, je suis heureux de rester sans réponse,
Ta lumière suffit qui brille sur ces ronces.
Je cherche autour de moi ce que je puis t'offrir.
Si je pouvais du moins te faire un jour chérir
Dans un matin d'hiver ta présence tacite,
Ou ce ciel dont tu es la seule marguerite,
Mais mon coeur ne peut rien sous l'os, il est sans voix,
Et toujours se hâtant pour s'approcher de toi,
Et toujours à deux doigts obscurs de ta lumière,
Elle qui ne pourrait non plus le satisfaire.
 
 
 
 
 
 
 
 
Saisir (extrait)
 
 
Grands yeux dans ce visage,
Qui vous a placés là?
De quel vaisseau sans mâts
Êtes-vous l'équipage?
 
Depuis quel abordage
Attendez-vous ainsi
Ouverts toute la nuit?
 
Feux noirs d'un bastingage
Etonnés mais soumis
A la loi des orages.
 
Prisonniers des mirages,
Quand sonnera minuit
Baissez un peu les cils
Pour reprendre courage.
 
 
 
 
 
 
 
LE MIROIR
 
 
 
 
Qu'on lui donne un miroir au milieu du chemin
Elle y verra la vie échapper à ses mains,
Une étoile briller comme un coeur inégal
Qui tantôt va trop vite et tantôt bat si mal.
 
Quand ils approcheront ses oiseaux favoris
Elle regardera mais sans avoir compris,
Voudra, prise de peur, voir sa propre figure,
Le miroir se taira, d'un silence qui dure