Mais je demande en vain quelques moments
encore, Le temps m'échappe et fuit ; Je dis à cette nuit : " sois plus
lente " ; et l'aurore Va dissiper la nuit.
Aimons donc, aimons dons ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous,
jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il coule et nous passons ! "
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où
l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la
même vitesse Que les jours de malheur ?
Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ? Quoi !
passés pour jamais ? Quoi ! tout entiers perdus ? Ce temps qui les donna, ce
temps qui les efface, Ne nous les rendra plus ?
Eternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des
jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases
sublimes Que vous nous ravissez ?
O lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous que le
temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle
nature Au moins le souvenir
!
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, Beau
lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et
dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux !
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, Dans le
bruit de tes bords par tes bords répétés, Dans l'astre au front d'argent qui
blanchit ta surface De ses molles clartés !
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums
légers de ton air embaumé, Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on
respire, Tout dise : " Ils ont aimé ! "
LAMARTINE
|