ILAMATECUHTLI
 
 

 
  Un survol suffit aux mouettes pour comprendre qu'il n'y aurait pas de pêche au bar aujourd'hui.
   Les côtes du Finistère cachées derrière un rideau de brume à tribord, les falaises sombres de l'île de Groix à bâbord et, dans son dos, le chenal des dents du loup qu'il vient de quitter. Il est rare qu'il s'écarte de son rassurant triangle familier.

 Pressée, la petite embarcation déchire les flots comme une paire de ciseaux vomissant des gerbes blanches dans son sillage. Une main sur le gouvernail, l'autre agrippée au liston, stoïque autant que déterminé, l'homme a repoussé la capuche de son ciré pour laisser les paquets de mer lui fouetter le visage. Sa langue essuie-glace balaie ses lèvres au goût de sel.
 Parvenu au large, il se retourne vers la rive puis, quand il se juge suffisamment éloigné pour ne pas être dérangé, il arrête sa fuite en avant, stoppe le moteur et hisse l'hélice. Alors, serrant les dents, il laisse son sort entre les mains des éléments.

  Déjà, son visage devient livide à l'idée du long supplice qui l'attend où chaque minute dure une éternité.
 Dans le grondement du roulement incessant des vagues, les mains mouillées posées à plat sur ses genoux, il sait que les premiers bercements sont trompeurs, d'abord bercé avant d'être ballotté, comme sur le dos d'un cheval fou lors d'un rodéo.
 Livrée à elle-même la barque incontrôlable ne sait plus démêler les tangages des roulis. Elle est coquille de noix entre des mains géantes qui jouent aux osselets. Les yeux de l'homme, d'instinct, se sont fermés. Ils refusent de voir l'eau escalader les parois du frêle esquif, remplissant celui-ci peu à peu avant de l'entraîner fatalement vers le fond.

 Incommodé, soulevé, chaviré par les nausées, le cœur malade râle par la bouche grande ouverte pour être renvoyé, sans délai hors de ce corps maudit. Hélas aucun des hoquets de vomissement, qui soulèvent ses épaules, ne parvient à le libérer de son mal de mer. Il crie, il hurle pour évacuer sa peur. Cette trouille qui transperce son dos  d'aiguilles de sueur froide, et plus bas entre ses jambes le baigne d'une chaude odeur mal définie.

  - I-LA-MA-TE-CUH-TLI hurle-t-il de désespoir.  I-LA-MA-TE-CUH-TLI.…lance-t-il comme un fou certain de ne pas être entendu. I-MA….les syllabes détachées de son incantation  poussées par le vent d'ouest, après quelques ricochets sont avalées par les vagues.

  Quand enfin sa montre lui indique quinze minutes, la fin du supplice a sonné. Fatigué, essoré, lessivé,  trempé de la tête aux pieds, l'épreuve est terminée, il a vaincu ses peurs. La peau de la face, comme bringuebalée dans le tambour d'une machine à laver est passée par toutes les pâleurs, elle retrouve, soulagée, peu à peu des couleurs.
 A l'aide d'un seau de plage d'enfant il écope la barque comme ses cris ont vidé les nuages noirs encombrant son esprit, menaçant de l'entraîner vers le fond. Il replonge l'hélice dans l'eau, tire le démarreur et rassuré par le ronronnement doux du moteur, reprend, la tête encore pleine de tumultes, le chemin du retour. C'est la dernière fois, se jure-t-il, la dernière.

  Il dédie le mélange salé d'embruns et de larmes  récolté par sa langue aux commissures de ses lèvres à Ilamatecuhtli, heureux d'avoir échappé au naufrage. La déesse aztèque de la mer et du sel n'a pas voulu, une fois de plus, de son sacrifice, le condamnant à vivre.

 Plus de cinquante ans que l'étrange rite a commencé, pourtant il s'en souvient comme si c'était hier.
 Nul ne guérit de son enfance, chantonne-t-il en manœuvrant avec soin pour rester entre les perches balisant le chenal des dents du loup, nom donné, suppose-t-il aux rochers noircis par des moules et berniques couverts à marée haute. Sur le ponton une silhouette l'attend le cœur serré.
 
   Les enfants ne savent pas marcher, ils courent, ils sautent.
 Il saute les deux marches  du perron, usées au milieu par les chaussures et sabots. Il s'enfonce dans le couloir qui sépare la porte du logement de Pierre, de la porte d'Anna, il escalade l'escalier de bois qui ne craque pas encore sous son poids. 

   Les enfants ne savent pas parler, ils crient.
  Avant d'arriver au pallier le bruit de dispute de ses frères le fait ralentir. Du genre silencieux, il ne crie pas lui, ou si peu, seulement quand il est pris entre leurs pattes, le petit souffre douleur. Alors c'est vrai, il crie, il hurle même, en rajoute pour qu'ils soient bien punis, ses deux aînés.
 Il monte discrètement l'échelle de meunier qui mène au grenier. Son usine à rêves, son palais, son royaume. Premier geste royal; un jeté du cartable sur le trône, un vieux fauteuil défoncé qui ne peut se passer du soutien du mur. Il chipe une pomme dans un cageot, sur le territoire de Pierre, qui mêle ses odeurs aux cageots d'oignons étalés sur le plancher et part en rêveries loin, très loin, transporté par la lecture.

- Alors mab, que lis-tu ? Son regard croise le regard bienveillant de Pierre qui devait le guetter derrière les rideaux de ses croisées et l'aura suivi.
 Il lui présente la couverture d'Historia.
- Ah ! steak haché, fit le vieil homme d'un sourire malicieux à peine visible derrière son épaisse moustache blanche.
- S'étaient pas cachés les aztèques, ils vivaient au Mexique. Reprend l'enfant, sans se détourner de la lecture.
- Vaincus par les cons qui s'adorent, insiste le vieil homme qui n'a que l'enfant à taquiner.
- Les conquistadors fit celui-ci, se prêtant au jeu.
- Vaincus, comme nous par les allemands en 14.
 Sortant une carotte de chique d'un rebord de sa casquette, il en coupe un morceau qu'il porte à sa bouche, puis pendant qu'il essuie son couteau contre sa cuisse il est devancé par l'enfant qui ajoute :
- Encore un que les boches n'auront pas.

 Il les a tous usés, voisins, famille et amis avec sa grande guerre. Il n'y a plus que l'enfant pour l'écouter parler de sa blessure qui a fait de lui un pensionné.
 Les autres l'évitent, changent de trottoir pour échapper à la boue des tranchées,  aux blessures, aux morts, à Pétain lui-même, ce héros de 14-18 encadré en bonne place dans  son unique pièce à vivre, à la fois cuisine, salle, chambre. Un robinet d'eau, commun, dans le couloir et le cabanon d'aisance au fond du jardin complètent le confort.
 - Dis ! Tu me donnes un bout de tabac à  chiquer ? Un petit pour goûter, s'i te plait ! Pierre.
- Quand tu auras du poil au menton. Pour l'instant le lait sort encore de ton nez. Regarde ! Fait-il esquissant un geste vers son visage avant de lui montrer le petit bout de nez  entre les doigts de sa main repliée.
 Au mot lait l'enfant se lève d'un bond.
- J'y vais.
- Déjà ? Tu es bien pressé depuis quelques temps.
- Il fait trop beau pour rester enfermé.
- On croirait entendre ta mère.
  Chaque jour de la semaine, excepté le dimanche, il est de corvée de lait. Volontaire désigné d'office par ses frères, passés avant lui par cette sorte d'épreuve initiatique pour basculer de très petit et presque grand.
 Le vendredi, au lait, s'ajoute la livre de beurre
.

  Le vendredi il aime arriver en avance à la ferme et s'asseoir sans dire un mot sur un banc dans l'atelier,  la pièce coincée entre l'écurie et la pièce de vie en terre battue. Il pourrait passer des heures à contempler le beau visage d'Annette rougit par l'ardeur qu'elle met à tourner la manivelle de la baratte pour transformer le lait en beurre. Ses bras nus potelés, sa douceur, sa féminité le fascinent. Il guette le moment où d'un signe de la tête, suprême honneur, elle l'autorise à lui essuyer le front.

 Il  se souvient avec émotion comment, il y a de cela trois semaines, bravant sa  timidité, il avait saisi le torchon blanc posé sur la table de travail pour éponger délicatement le front de celle qu'il aurait aimé avoir pour sœur. Puis, apercevant une goutte de sueur oubliée qui allait se perdre dans les profondeurs du cou, il avait osé l'arrêter du bout de sa langue, sans calcul ni préméditation.
 Oh ! Cette pépite sur ses lèvres et dans sa bouche, cette goutte de sueur. Cette perle de volupté inégalée, le meilleur des desserts  jamais dégustés avait un agréable goût de beurre salé. Il s'en souviendra, le recherchera toute sa vie.
- Hi ! Hi ! Arrête, tu me chatouilles, avait-elle fait, rougissant davantage. Son regard apeuré, dirigé vers la porte parut soulagé que la scène n'eût pas de témoin.
 Depuis ce jour béni, d'un accord tacite, comme une récompense, trois vendredis d'affilés sa langue avait récolté la goutte de sueur salée à même  la peau. Par trois fois le miracle se répéta, colorant de plaisir le visage pudiquement outré de la demoiselle répétant : Hi ! Hi ! Tu me chatouilles.
 Personne n'avait dit à l'enfant que la vie punit les instants de bonheur par une peine plus grande encore. Le boomerang était lancé, rien ni personne ne pourrait retenir son retour.

  Le pot en fer danse au bout de son bras en ce début du mois de Mai. Il sautille, chantonne d'un cœur léger à l'idée du goût de sel sur ses lèvres.       Il est heureux comme jamais de rejoindre la ferme et n'aurait laissé, pour rien au monde, sa place  à ses frères. 

 L'hiver c'est une autre affaire. La nuit est déjà tombée, apportant sa fraîcheur,  quand il arrive dans le sentier bordé d'un talus de terre.  Enfermé sous le plafond des branches une inévitable peur le saisit, la lune elle-même s'arrête, consciente du danger présent derrière les gros chênes qui s'arc-boutent de toutes leurs racines  à la rocaille du talus  pour ne pas être emportés par le vent mugissant dans les branches. L'éclairage de sa lampe plate ne perce pas l'obscurité au-delà de trois mètres devant lui mais le faisceau lumineux de connivence avec le sommet des arbres, les montre se déchaîner entre eux. Il l'a vu de ses propres yeux, les arbres, comme les chats, se battent la nuit.

 Aujourd'hui c'est différent, le printemps a posé ses bourgeons sur les ongles des branches, les rendant inoffensifs. Même pas peur ! Il fait grand jour, les pieds distinguent bien les ornières, les arbres ne se battent pas encore, ils attendent la nuit.
 Tout va pour le mieux. Un tic du pied, trahissant une certaine nervosité, soulève le torchon posé sur ses genoux. Au signal convenu, conscient de l'importance de sa tâche, le cœur accélère dans sa poitrine. Il se lève pour essuyer le front en sueur.
 C'est fait. Sa langue savoure à l'avance la récompense qu'elle s'apprête à cueillir, quand soudain il bascule en arrière, repoussé violemment par la jeune fille qui crie, furieuse :
- Dégage donc de là, toi ! Tu ne vois pas que tu me gênes, toujours entre mes pattes comme un jeune chiot qui quémande des caresses.
 Assis sur le ciment où il est tombé sur les fesses, l'incompréhension a envahi et figé son visage. Ses yeux mouillés d'animal blessé quêtent une explication, cherchent le piège. Et le piège est là, dans l'encadrement  de la porte, les poings sur les hanches.
- Qu'est-ce donc qu'il voulait ton prince charmant, petite sœur ? Te voler un baiser ? Lorgner ton décolleté ?
-  Va savoir, Odette ! Is sont tellement dévergondés ceux du bourg, ils se croient tout permis. Mais je ne me laisse pas faire.
-  J'ai vu en effet. Son frère Etienne, je ne dis pas, mais celui-ci n'est encore qu'un gamin.
- Ouais ! Un petit gamin dans son short, rapiécé aux fesses, trop grand pour lui.

 Ne pas pleurer, se disait l'enfant totalement désemparé. Surtout ne pas pleurer malgré la brûlure des moqueries. Tête basse, sitôt la porte franchie, sans se retourner, il s'enfuit à toutes jambes, évitant de justesse les battements d'ailes d'une poule affolée, sous les rires des animaux de la ferme. Le beurre et le lait oubliés, il se réfugia dans le grenier où le fauteuil bancal recueillit les sanglots de rage qui secouaient ses épaules
 Une main amicale sur son bras réveilla le sommeil léger agité par les cauchemars.
 - Faut pas m'emmerder Pierre, j'ai eu une  putain de mauvaise journée.
- On croirait entendre ton père. Ecoute-moi, imbécile. Tu es trop jeune pour être ravagé par le chagrin, surtout par un chagrin d'amour.
- Comment tu sais ça toi ?
- Ne cherche pas, c'est mon petit doigt qui me l'a dit. Tiens ! Tu avais oublié ça, fit Pierre en lui désignant lait et beurre.
- Pourquoi elle m'a bousculé, Pierre, Pourquoi ? J'avais rien fait de mal ?
disait l'enfant, la voix et le visage déformés par la douleur, inconsolable d'avoir été jeté.
- Tu n'es pour rien fils, tu es victime du phénomène de groupe, qui commence à deux. Deux comme les deux sœurs qui passent leur temps devant un miroir à se crêper les cheveux avec un peigne pour ressembler aux femmes des romans photos qu'elles dévorent des yeux dans les revues : 'Nous deux' ou 'Intimité'. Annette a voulu montrer à sa sœur qu'elle est une grande fille émancipée qui ne se laisse ni embrasser, ni embarrasser par un gamin de 6 ans son cadet comme les apparences pouvaient le laisser croire. C'est une question de paraître, voilà ce que j'en dis
.
- C'est compliqué les filles, dit l'enfant, ajoutant, Je fais quoi maintenant ?
Tu ferais quoi, toi, à ma place ?
 Moi à ta place, voilà ce que je ferais…
 
  Le temps était maussade à l'image de l'enfant, le cœur partagé entre la mélancolie et la fierté d'accompagner Pierre pour soigner son mal. Installé sur le porte bagage du vélo, il s'agrippait à la selle et écartait les jambes pour éviter que ses sandales ne se prennent dans les rayons.

" Un verre plein se vide, un verre vide se plaint. " Tous les dimanches après midi la même vanne faisait recette chez les habitués de la boule qui soûle. Dans ce café, dépôt de pain, confiserie, les cinq terrains de jeu  affichaient souvent complet le week-end. Là, entre chaque partie, le vin rouge épais et âpre des bouteilles étoilées remplissait, sans faux cols, les verres qui passaient de l'un à l'autre sans plus d'histoire. Redevenus enfants, riant d'un rien, s'exclamant de plus en plus fort, à mesure que la journée avançait et les bouteilles se vidaient, les adeptes de la boule bretonne repartaient entre les planches pousser leurs boules avec application dans ce jeu qui autorise l'aide de la bande pour venir au plus près du petit. Pour souligner le caractère sportif de la compétition, les cadavres des bouteilles s'alignaient et se comptaient avec fierté comme des trophées, le plus soûl des joueurs était, lui, déclaré maillot jaune.

 Avant de rejoindre ses camarades de jeu où il était admis à condition de les lâcher avec sa guerre de 14, comme un général dirigeant ses troupes, la main sur son épaule, montrant la plage du sable neuf à l'enfant, Pierre le poilu lui donnait ses dernières instructions :
- Voilà fils, on y est, à toi de jouer. Tu as la plage entière pour toi. Je veux que tu coures sur ce stade, ce terrain de jeu, ce champ de bataille, appelle ça comme il te plaira. Cours, crie, chante, pleure si tu en as envie. Même les plus durs pleuraient dans les tranchées. Je veux que tu reviennes fatigué, lessivé, crevé mais vidé du mal qui te ronge.

 L'enfant parti vers la plage un peu déçu de la méthode miracle du soldat de 14. Sa motivation aussi basse que la marée, il commença à trottiner en maudissant les filles de la ferme : Annette et Odette sont plus bêtes que leurs vaches. Chantant ce qui lui passait par la tête, l'enfant, avec malice, écorcha son vieil ami.
" Pierre le poilu t'es cocu, Pierre le poilu poil au cul ". Saisi de remord il accéléra le pas sans même le savoir. Se mettant dans la peau de Pierre dans les tranchées, d'un bond, il se coucha au sol sous la pluie des obus dont les éclats partaient semer la destruction et la mort, criant, pleurant, hurlant : Putain, Pétain sors nous de ce pétrin.
 Pieds nus dans le sable mouillé, il fonçait, tête baissée, pour échapper à l'ennemi. C'est ainsi qu'il s'engagea dans un passage seulement ouvert à marée basse. Dans cette petite anse, utilisée parfois par un mareyeur, la marée avait creusé des abris dans la falaise. Derrière un fatras d'épaves, de filets et casiers, il découvrit des chambres à air de tailles différentes dont le fond était aménagé de planches. Il prit la plus petite, sans doute la roue d'un  vélomoteur, sauta sur le radeau de fortune qui d'entrée fut entraîné par la ronde des vagues. Il ramait avec ses mains en riant, heureux d'avoir semé l'ennemi, content des geysers qu'il soulevait.
 Sa joie fut de courte durée. Ses rires s'éteignirent d'un coup, quand, voyant la côte s'éloigner, ses coups de rame s'avérèrent inutiles. Autre danger, la barre, frontière séparant  la rivière de l'océan, réputée dangereuse, semblant aspirer la chambre à air noire acheva de précipiter l'enfant dans une grande panique.

 Crie, pleure, hurle, lui avait dit Pierre.
Au secours, à l'aide, à moi Ilama…tecuhtl, ilamatecuhtli suppliait-il sans cesse, la voix étranglée de sanglots, certain d'avoir trouvé en la déesse aztèque de la mer et du sel, le bon recours à sa détresse. Ses yeux fermés refusaient de voir l'inévitable naufrage. Ses supplications et ses pleurs durèrent une éternité, puis miracle, un choc secoua son corps entier. Le souffle de la déesse sur les vagues de la marée montante le ramenant sur la plage du sable neuf l'avait sauvé de la noyade.
 
  Sur le chemin du retour l'enfant racontait comment il avait été sauvé par une déesse aztèque. Pierre, une main sur le guidon de son vélo, l'autre dans celle de l'enfant, jurait après l'état de la route à chaque fois qu'il trébuchait.
- Garde ça pour toi mon garçon. Pas sûr que les autres croient à cette histoire de déesse ila… comment tu l'appelles déjà et d'où tu sors ce nom bizarre.
- Ilamatecuthli la déesse aztèque de la mer et du sel, je l'ai lu dans le tas d'Historia que tu conserves dans le grenier après avoir lu les articles sur la guerre 14-18.
 L'enfant, en grignotant sa récompense, une brioche fourrée d'une barre chocolatée, ne comprenait rien à ces adultes capables de mettre en doute son sauvetage alors qu'une boule qui se soûle ne les faisait pas réagir.
- Tu gardes ton abonnement à Historia. Hein ! Pierre que tu le gardes ?
- Tu vas mieux toi ! Je me trompe ? Sûr que je le garde, Ils n'ont pas fini avec la grande guerre, eux.
 
  L'enfant grandit, prit son envol et quitta son nid sans regarder dans le rétroviseur. Embarqué dans la marine marchande, il lui arriva d'appeler Ilamatecuthli à la rescousse pour désengluer son cœur envasé.
 La goutte de sel ne le hantait plus mais restait gravée sur le disque dur de sa mémoire.

 A l'automne de sa vie, sans explication, à l'image du retour des saumons, le phénomène naturel le ramena sur les terres de son enfance. Et c'est ainsi qu'un dimanche, au marché qui encercle l'église, la sensation
que des yeux l'observent le fait se retourner.
 C'est toi ? C'est moi ! Quelle surprise. Qu'est-ce que tu fais ? Je t'attendais.
- Hi ! Hi ! Tu me chatouilles faisait-elle, gémissant de plaisir, pendant qu'il cherchait en vain le goût de sel dans les coins les plus intimes de son anatomie.

 Au matin il était parti, déçu, laisser ilamatecuthli décider de son sort. Au retour franchissant le chenal des dents du loup, il criait : c'est fini, j'ai grandi.
 La silhouette d'Annette se pencha pour saisir la main tendue, les précipitant tous deux à l'eau, sous les rires moqueurs des mouettes.
- Laisse les dire, fit-elle en l'embrassant dans le cou. Seules, elles sont charmantes, en groupe elles sont affreuses.
- C'est compliqué les mouettes, ajouta-t-il.