Les bienveillantes

Jonathan LITTELL
 
 
 
  Jonathan Littell nous fait revivre les horreurs de la seconde guerre mondiale du côté des bourreaux. Cette position de témoin d'actes de barbarie met mal à l'aise malgré l'avertissement :
 
 " Je suis coupable, vous ne l'êtes pas, c'est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j'ai fait, vous l'auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d'une façon ou d'une autre.
Je pense qu'il m'est permis de conclure comme un fait établi par l'histoire moderne que tout le monde ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu'on lui dit ;  et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l'exception, pas plus que moi. Si vous êtes nés dans un pays ou à une époque où non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais où personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. Mais gardez toujours à l'esprit cette pensée : vous avez peut-être eu plus de chance que moi, mais vous n'êtes pas meilleur. Car si vous avez l'arrogance de penser l'être, là commence le danger…
"
 
 Devant les fastidieuses appellations : Her Gruppenführer, Her Obersturmführer, Hauptsturmführer, Sicherheitspolizei, Volksgemeinschaft, Einsatzgruppe, la tentation de refermer le livre est grande. Il faut s'accrocher pour aller au bout du cynisme et de l'horreur, poussé par la nécessité de se dire : je me dois d'ouvrir les yeux sur ce qui est arrivé. Avec au bout l'inévitable question : Et moi ? Dans la même situation, quel aurait été mon comportement ?
 
   Un roman long et difficile. On en sort vidé, épuisé, démoralisé de la lecture des Bienveillantes de Jonathan Littell.
 
 
 
 
 
 
 
Extraits :
 
 

  Très tôt, il me semble, je recherchais avidement l'amour de tous ceux que je rencontrais. Cet instinct, de la part des adultes, du moins, se voyait généralement payé de retour, car j'étais un garçon à la fois beau et très intelligent. Mais à l'école, je me trouvai confronté à des enfants cruels et agressifs dont beaucoup avaient perdu leur père à la guerre, ou étaient battus et négligés par des pères revenus brutalisés et à moitié fous des tranchées. Ils se vengeaient, à l'école, de ce manque d'amour à la maison en se retournant vicieusement contre d'autres enfants plus frêles et plus fragiles...
 
 

  Voyez-vous, il y a à mon sens trois attitudes possibles devant cette vie absurde.
D'abord l'attitude de la masse, hoï polloï, qui refuse simplement de voir que la vie est une blague. Ceux-là ne rient pas, mais travaillent, accumulent, mastiquent, défèquent, forniquent, se reproduisent, vieillissent et meurent comme des bœufs attelés à la charrue, idiots comme ils ont vécu. C'est la grande majorité. Ensuite, il y a ceux comme moi, qui savent que la vie est une blague et qui ont le courage d'en rire à la manière des taoïstes ou de votre juif. Enfin, il y a ceux, et si mon diagnostic est exact votre cas, qui savent que la vie est une blague, mais qui en souffrent…
 
 
 
  A Lublin, comme à Cracovie, je m'installai à la Deutsche Haus. La salle du bar, à notre arrivée, était déjà animée ; j'avais fait prévenir, ma chambre était réservée ; Piontek, lui, dormait dans une chambrée pour hommes de troupe. Je montai mes affaires et demandai de l'eau chaude pour me laver. Une vingtaine de minutes plus tard on frappa à ma porte, et une jeune serveuse polonaise entra avec ses deux seaux fumants. Je lui indiquai la salle de bain et elle alla les poser. Comme elle ne ressortait pas, j'allai voir ce qu'elle faisait : je la trouvai à moitié nue, déshabillée jusqu'à la taille. Interloqué, je contemplai ses joues rouges, ses petits seins menus mais charmants ; les poings sur la taille, elle me fixait avec un sourire impudique…

 
 
 
 
 
 
Jonathan  Littell
 
 
  Jonathan Littell, né le 10 octobre 1967 à New York, est un écrivain franco-américain.
Son roman Les Bienveillantes, écrit entièrement en français et signé à l'âge de 39 ans, lui vaut le prix Goncourt 2006 et le Grand prix du roman de l'Académie française 2006.
C'est aussi grâce à ce roman qu'il obtient le 8 mars 2007 la nationalité française pour " contribution au rayonnement de la France " après deux tentatives infructueuses en 2006.
 
 
 
 
retour accueil                             retour menu lecture                          retour bibliothèque