La dame blanche
de Christian
BOBIN
Derrière la porte fermée à clé de sa chambre, Emily écrit des textes dont la
grâce saccadée n'a d'égale que celle des proses cristallines de Rimbaud. Comme
une couturière céleste, elle regroupe ses poèmes par paquet de vingt, puis elle
les coud et les assemble en cahiers qu'elle enterre dans un tiroir. "
Disparaître est un mieux " A la même époque où elle revêt sa robe
blanche, Rimbaud, avec la négligence furieuse de la jeunesse, abandonne son
livre féerique dans la cave d'un imprimeur et fuit vers l'Orient
hébété. Sous le soleil chaud d'Arabie et dans la chambre interdite
d'Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté, travaillent à se faire
oublier.
Voilà pour la présentation de son livre par l'auteur. Un ouvrage consacré à
Emily Dickinson, la poétesse dame blanche, par un amoureux des mots.
Christian BOBIN est lui aussi " un chercheur d'or secouant le gravier
des mots dans le tamis de papier pour en extraire le mot qui brille d'une vérité
pure ".
Extraits
:
A six ans on a le nez collé à la vitre du ciel, on ne
voit que quelques détails, notre haleine fait trop de
buée.
On ne
connaît jamais mieux une chose que par son manque.
Les
parents voient leurs enfants, jamais leurs âmes. Celle d'Emily tient dans une
goutte de rosée. Elle contemple le ciel à travers le vitrail des ailes d'une
libellule, et s'aménage un béguinage à l'intérieur d'une clochette de
muguet.
Le
néant et l'amour sont de la même race terrible. Notre âme est le lieu de leur
empoignade indécise.
Charles et Emily sont deux chercheurs d'or, secouant le gravier
des mots dans le tamis de papier, jusqu'à repérer le mot qui brille et n'égare
pas, le carat d'une vérité pure.
La
tyrannie du visible fait de nous des aveugles. L'éclat du verbe perce la nuit du
monde.
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