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Biblique des derniers gestes
de Patrick CHAMOISEAU
Jadis, au-delà de l'aurore et du crépuscule, les bois
symbolisaient la demeure de la divinité, et ainsi de la Martinique. Mais les
dieux sont partis laissant derrière eux, dans l'obscurité des siècles, des
esprits qui enflamment toujours les racines des forêts, tandis que le temps
poursuit sa route. Balthazar Bodule-Jules était né, disait-il, il y a de cela
quinze milliards d'années - et néanmoins, en toutes époques, en toutes terres
dominées et sous toutes oppressions. Alors que, désenchanté, il décide de
mourir, il se souvient tout à coup des sept cent vingt-sept femmes qu'il avait
tant aimées. Ces créatures mémorielles le ramènent au long cours de sa vie sur
les rives de la Terre, parmi le fracas de ses guerres auprès du Che en Bolivie,
de Hô Chi Minh au Vietnam, de Lumumba au Congo, de Frantz Fanon en
Algérie…
Dans ce vrac de mémoire, le vieux rebelle découvre la
dimension initiatique de son enfance soumise à la grandiose autorité d'une femme
des bois, Man L'Oubliée, seule capable de s'opposer aux damnations de la
diablesse. Il prend la mesure des enseignements d'une ardente communiste que
l'on croit être un homme ; puis il élucide enfin l'étrange douceur de celle qui
lui paraissait la plus fragile de toutes : la céleste Sarah-Anaïs-Alicia...
Le narrateur (Marqueur de
paroles et en final Guerrier) s'identifie insensiblement à ce rebelle qui
l'emplit d'une connaissance littéraire des temps anciens et des temps à venir.
Car, au terme d'une vie dont il ne pensait retenir que l'échec, l'agonisant
accède à une autre conscience : cet amour-grand qui relie les
contraires...
Une grande, belle et
joyeuse oeuvre poétique.
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Patrick
Chamoiseau
est né le 3 décembre 1953 à
Fort-de-France (Martinique). Après des études de droit et d'économie sociale en
France, il devient un travailleur social, d'abord dans l'Hexagone, puis en
Martinique. Inspiré par l'ethnographie, il s'intéresse aux formes culturelles
disparaissantes de son île natale (les djobeurs du marché de Fort-de-France, et
les vieux conteurs) et il redécouvre le dynamisme de sa première langue, le
créole, langue qu'il a dû abandonner au moment de ses études primaires.
En 1986 il publie son premier roman, Chronique des
sept misères, où il raconte l'expérience collective des djobeurs et étale son
invention d'un nouveau style linguistique, un langage hybride accessible aux
lecteurs de la Métropole qui contient néanmoins les valeurs socio-symboliques du
créole, la provocation et la subversion. Par la suite apparaît son deuxième
roman Solibo magnifique (1988), livre qui développe les thèmes de la recherche
d'une identité martiniquaise par les pratiques culturelles du passé. Il est par
son troisième roman pourtant que Chamoiseau éclate sur la scène internationale.
Texaco (1992), grande épopée, raconte les souffrances de trois générations,
d'abord sous l'esclavage, puis pendant la première migration vers l'Enville,
enfin à l'époque actuelle. Texaco gagne le Prix Goncourt et établit Chamoiseau
comme la vedette du mouvement créoliste.
Pendant qu'il produisait ces trois romans,
Chamoiseau travaillait aussi à d'autres projets. Avec Jean Bernabé et Raphaël
Confiant, il publie en 1989 Éloge de la créolité, le manifeste de la créolité,
et par la suite Lettres créoles avec Confiant, un essai sur la littérature
antillaise de 1635 à 1975. De plus il écrit une autobiographie (Une enfance
créole - 2 volumes), il édite une collection de contes créoles (Au temps de
l'antan) et, en collaboration avec le photographe Rodolphe Hammadi,
Guyane: Traces-Mémoires du bagne. l'oeuvre récente de Chamoiseau continue
à se développer au carrefour de la théorie et la création artistique : un conte
de l'époque esclavagiste L'esclave vieil homme et le molosse (1997), un texte à
moitié théorique, à moitié autobiographique, Écrire en pays dominé (1997), et
son quatrième roman, Biblique des derniers gestes (2002).
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