Les Piliers de la Terre
Ken Follett - 1989
 
 
 
 L'histoire commence en 1135 dans une Angleterre qui se déchire. Plusieurs destins se croisent.
 
 Il y a Philip abandonné à sa naissance. Découvert par les moines, il va devenir moine à son tour, puis prieur pour diriger le monastère de Kingsbridge avec ses idées de justice et progrès.

Il y a Tom, maçon, qui rêve de construire une cathédrale. C'est l'époque des bâtisseurs de cathédrales. Il vit avec sa femme Agnès et ses 2 enfants Alfred et Martha. Il rencontrera Philip. Ensemble, ils décident de construire une cathédrale à Kinsbridge. Tom devient maître bâtisseur.

Il y a Ellen et son fils Jack, qui vivent dans la forêt. Jack cherche la vérité sur la mort de son père.

Il y a Aliéna et Richard, enfants du Comte de Shiring, arrêté et emprisonné pour trahison. Ils sont chassés de leur château par le cruel Seigneur William qui va devenir le Comte de Shiring. Aliéna et Richard échouent à Kingsbridge.

Il y a l'évêque Waleran envieux et jaloux de cette cathédrale. Il s'allie avec William pour empêcher la construction de cette cathédrale.

Il y a des famines, des guerres civiles, des brouilles de famille, des ambitions, des trahisons, des corruptions au sein de l'église, des cruautés de seigneurs envers le bas peuple.

Le Moyen-Âge comme si on y était.
 
Une belle épopée historique, romanesque à souhait, qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne de ce roman pourtant épais. Une histoire attachante qu'on quitte à regret. Un bon divertissement.
 
 
 

Extraits :
 
 Les jeunes garçons arrivèrent de bonne heure pour la pendaison. Il faisait encore sombre quand les trois ou quatre premiers d'entre eux s'étaient glissés hors de leur taudis, silencieux comme des chats dans leurs bottes de feutre. Une mince pellicule de neige fraîche recouvrait la petite ville, comme une couche de peinture neuve, et leurs empreintes furent les premières à en souiller la surface immaculée. Ils passèrent entre les huttes de bois serrées les unes contre les autres et suivirent les rues, où la boue avait gelé, jusqu'à la place du marché silencieuse où la potence attendait.
 
Les garçons méprisaient tout ce que leurs aînés appréciaient. Ils dédaignaient la beauté et raillaient la bonté. Ils éclataient de rire à la vue d'un infirme et, s'ils apercevaient un animal blessé, ils le lapidaient à mort. Ils se vantaient de leurs blessures, ils arboraient avec orgueil leurs cicatrices, et réservaient leur admiration toute particulière aux mutilations : un garçon à qui il manquait un doigt, c'était un roi. Ils adoraient la violence : ils pouvaient parcourir des lieues pour voir le sang couler et jamais ils ne manquaient une pendaison. Un des garçons pissa au pied de la potence. Un autre gravit les marches de l'échafaud, posa ses pouces sur sa gorge et s'affala, le visage crispé dans une macabre parodie de strangulation ; les autres s'exclamèrent d'admiration, et deux chiens débouchèrent sur la place du marché en aboyant. Un très jeune garçon commença imprudemment à croquer une pomme et un des aînés lui donna un coup de poing sur le nez et la lui vola. Le cadet se soulagea en lançant une pierre aiguisée sur un chien qui rentra chez lui en hurlant. Puis il n'y eut plus rien à faire, alors ils s'accroupirent sur le pavé sec du portail de la grande église, attendant qu'il se passe quelque chose.
 
La lueur des chandelles vacilla derrière les volets des maisons cossues de bois et de pierre, alignées tout autour de la place, demeures d'artisans et de négociants prospères. Déjà les servantes et les apprentis allumaient les feux, faisaient chauffer l'eau et préparaient le porridge. Le ciel vira du noir au gris. Les gens sortirent de chez eux, baissant la tête au passage du seuil de la porte, emmitouflés dans de lourds manteaux de grosse laine, et descendirent en frissonnant jusqu'à la rivière où ils s'approvisionnaient en eau.
 
Bientôt un groupe de jeunes gens, valets d'écurie, ouvriers et apprentis, firent leur entrée sur la place du marché. Ils chassèrent à coups de pied et à coups de poing les jeunes garçons du porche de l'église, puis s'adossèrent aux arches de pierre sculptées, se grattant, crachant par terre et discutant avec une assurance étudiée de la mort par pendaison. S'il a de la chance, dit l'un d'eux, son cou se brise dès qu'il tombe, c'est un trépas rapide et sans douleur : mais sinon, il reste suspendu là à devenir cramoisi, sa bouche s'ouvrant et se fermant comme un poisson hors de l'eau, jusqu'à ce qu'il s'étrangle ; un autre affirma que mourir de cette façon peut prendre le temps qu'il faut à un homme pour parcourir une demi-lieue ; et un troisième déclara que ce pouvait être encore pire, qu'il avait assisté à une pendaison où, le temps que l'homme soit mort, son cou avait un pied de long.
 
Les vieilles femmes formaient un groupe de l'autre côté de la place, aussi loin que possible des jeunes gens qui risquaient de crier des remarques vulgaires à leurs grands-mères. Elles s'éveillaient toujours de bon matin, les vieilles, même si elles n'avaient plus à s'inquiéter de bébés ni d'enfants ; elles étaient les premières à avoir leurs feux allumés et leurs âtres balayés. Leur meneuse reconnue, la robuste veuve Brewster, vint les rejoindre, roulant un tonneau de bière aussi facilement qu'un enfant pousse un cerceau. Elle n'avait pas eu le temps d'ôter le couvercle qu'attendait déjà une petite foule de clients avec des cruches et des seaux.
 
Le bailli du prévôt ouvrit la grande porte, pour laisser entrer les paysans qui habitaient le faubourg, dans les maisons adossées au mur de la ville. Les uns apportaient des œufs, du lait et du beurre frais à vendre, d'autres venaient acheter de la bière ou du pain, d'autres encore restèrent sur la place du marché en attendant la pendaison. De temps en temps, les gens levaient la tête, comme des moineaux inquiets, et jetaient un coup d'œil au château sur la colline qui dominait la ville. Ils voyaient la fumée monter régulièrement de la cuisine et parfois la lueur d'une torche derrière les fenêtres en meurtrière du donjon de pierre. Et puis, au moment où le soleil devait commencer à se lever derrière l'épais nuage gris, les lourdes portes en bois du poste de garde s'ouvrirent et un petit groupe apparut. Le prévôt allait en tête, montant un beau cheval noir, suivi d'un char à bœufs transportant le prisonnier ligoté. Derrière le chariot chevauchaient trois hommes. Bien que d'aussi loin on ne pût distinguer leurs visages, leurs vêtements révélaient qu'il s'agissait d'un chevalier, d'un prêtre et d'un moine. Deux hommes d'armes fermaient la marche.
 
Ils s'étaient tous rendus la veille à la cour de justice du comté, qui se tenait dans la nef de l'église. Le prêtre avait surpris le voleur la main dans le sac ; le moine avait identifié le calice d'argent comme appartenant au monastère ; le chevalier était le suzerain du voleur, il l'avait reconnu comme un fugitif ; et le prévôt l'avait condamné à mort.
 
Tandis qu'ils descendaient lentement la colline, le reste de la ville se groupa autour de l'échafaud. Parmi les derniers à arriver, les notables : le boucher, le boulanger, deux tanneurs, deux forgerons, le coutelier et l'armurier, tous avec leurs épouses.
La foule était d'humeur bizarre. En général on aimait bien une pendaison. Le prisonnier était d'ordinaire un voleur et ils détestaient les voleurs avec la passion de gens qui ont durement gagné ce qu'ils possèdent. Mais ce voleur-là n'était pas comme les autres. Personne ne savait qui il était ni d'où il venait. Ce n'étaient pas eux qu'il avait volés, mais un monastère à huit lieues d'ici.
Il avait volé un calice orné de joyaux, un objet d'une si grande valeur qu'il était pratiquement impossible à revendre : ce n'était pas comme voler un jambon, un couteau neuf ou une belle ceinture, dont la perte nuirait à quelqu'un. On ne pouvait pas haïr un homme pour un crime si absurde. Il y eut quelques lazzis et quelques railleries quand le prisonnier pénétra sur la place du marché, mais les injures manquaient de conviction et seuls les jeunes garçons se moquaient de lui avec un certain enthousiasme.
 
La plupart des gens de la ville n'étaient pas au tribunal, car les jours de cession n'étaient pas fériés, et ils devaient tous gagner leur vie, aussi était-ce la première fois qu'ils voyaient le voleur. Celui-ci paraissait très jeune, entre vingt et trente ans. De taille et de stature normales, il avait pourtant un aspect étrange, dû à sa peau aussi blanche que la neige sur les toits, à ses yeux protubérants d'un vert clair extraordinaire et à ses cheveux couleur carotte. Les filles le trouvèrent laid ; les vieilles le plaignirent ; et les petits garçons rirent en se roulant par terre.
 
Le prévôt était un personnage familier, mais les trois autres hommes qui avaient scellé le destin du voleur étaient des étrangers. Le chevalier, un gros homme aux cheveux jaunes, était de toute évidence quelqu'un d'une certaine importance, car il montait un destrier, une énorme bête qui coûtait autant d'argent qu'un charpentier en gagne en dix ans. Le moine était beaucoup plus âgé, au moins cinquante ans, un grand homme maigre affalé sur sa selle, comme si la vie était pour lui un fardeau accablant. Le plus remarquable était le prêtre, un jeune homme au nez pointu et aux cheveux noirs et plats, vêtu d'une robe noire et chevauchant un étalon bai. Il avait l'air vif et dangereux d'un chat noir flairant un nid de souriceaux.
 
Un gamin visa avec soin et cracha sur le prisonnier. Il avait bien ajusté son tir et toucha l'homme entre les yeux. Le condamné grommela un juron et voulut se jeter sur le cracheur, mais il était retenu par les cordes qui l'attachaient aux ridelles de la charrette. Incident banal, sinon que le prisonnier parlait en français normand, la langue des seigneurs. Ce jeune homme était-il de haute naissance ? Ou simplement loin de chez lui ?
 
 
 
 
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