Il y a Tom, maçon, qui rêve de construire une cathédrale.
C'est l'époque des bâtisseurs de cathédrales. Il vit avec sa femme Agnès et ses
2 enfants Alfred et Martha. Il rencontrera Philip. Ensemble, ils décident de
construire une cathédrale à Kinsbridge. Tom devient maître bâtisseur.
Il y a Ellen et son fils Jack, qui vivent dans la forêt.
Jack cherche la vérité sur la mort de son père.
Il y a Aliéna et Richard, enfants du Comte de Shiring,
arrêté et emprisonné pour trahison. Ils sont chassés de leur château par le
cruel Seigneur William qui va devenir le Comte de Shiring. Aliéna et Richard
échouent à Kingsbridge.
Il y a l'évêque Waleran envieux et jaloux de cette
cathédrale. Il s'allie avec William pour empêcher la construction de cette
cathédrale.
Il y a des famines, des guerres civiles, des brouilles de
famille, des ambitions, des trahisons, des corruptions au sein de l'église, des
cruautés de seigneurs envers le bas peuple.
Le Moyen-Âge comme si on y était.
Une belle épopée historique, romanesque
à souhait, qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne
de ce roman pourtant épais. Une histoire attachante qu'on quitte à regret. Un
bon divertissement.
Extraits
:
Les jeunes garçons
arrivèrent de bonne heure pour la pendaison. Il faisait encore sombre
quand les trois ou quatre premiers d'entre eux s'étaient glissés hors de leur
taudis, silencieux comme des chats dans leurs bottes de feutre. Une mince
pellicule de neige fraîche recouvrait la petite ville, comme une couche de
peinture neuve, et leurs empreintes furent les premières à en souiller la
surface immaculée. Ils passèrent entre les huttes de bois serrées les unes
contre les autres et suivirent les rues, où la boue avait gelé, jusqu'à la place
du marché silencieuse où la potence attendait.
Les garçons méprisaient
tout ce que leurs aînés appréciaient. Ils dédaignaient la beauté et raillaient
la bonté. Ils éclataient de rire à la vue d'un infirme et, s'ils apercevaient un
animal blessé, ils le lapidaient à mort. Ils se vantaient de leurs blessures,
ils arboraient avec orgueil leurs cicatrices, et réservaient leur admiration
toute particulière aux mutilations : un garçon à qui il manquait un doigt,
c'était un roi. Ils adoraient la violence : ils pouvaient parcourir des lieues
pour voir le sang couler et jamais ils ne manquaient une pendaison. Un des
garçons pissa au pied de la potence. Un autre gravit les marches de l'échafaud,
posa ses pouces sur sa gorge et s'affala, le visage crispé dans une macabre
parodie de strangulation ; les autres s'exclamèrent d'admiration, et deux chiens
débouchèrent sur la place du marché en aboyant. Un très jeune garçon commença
imprudemment à croquer une pomme et un des aînés lui donna un coup de poing sur
le nez et la lui vola. Le cadet se soulagea en lançant une pierre aiguisée sur
un chien qui rentra chez lui en hurlant. Puis il n'y eut plus rien à faire,
alors ils s'accroupirent sur le pavé sec du portail de la grande église,
attendant qu'il se passe quelque chose.
La lueur des chandelles
vacilla derrière les volets des maisons cossues de bois et de pierre, alignées
tout autour de la place, demeures d'artisans et de négociants prospères. Déjà
les servantes et les apprentis allumaient les feux, faisaient chauffer l'eau et
préparaient le porridge. Le ciel vira du noir au gris. Les gens sortirent de
chez eux, baissant la tête au passage du seuil de la porte, emmitouflés dans de
lourds manteaux de grosse laine, et descendirent en frissonnant jusqu'à la
rivière où ils s'approvisionnaient en eau.
Bientôt un groupe de
jeunes gens, valets d'écurie, ouvriers et apprentis, firent leur entrée sur la
place du marché. Ils chassèrent à coups de pied et à coups de poing les jeunes
garçons du porche de l'église, puis s'adossèrent aux arches de pierre sculptées,
se grattant, crachant par terre et discutant avec une assurance étudiée de la
mort par pendaison. S'il a de la chance, dit l'un d'eux, son cou se brise dès
qu'il tombe, c'est un trépas rapide et sans douleur : mais sinon, il reste
suspendu là à devenir cramoisi, sa bouche s'ouvrant et se fermant comme un
poisson hors de l'eau, jusqu'à ce qu'il s'étrangle ; un autre affirma que mourir
de cette façon peut prendre le temps qu'il faut à un homme pour parcourir une
demi-lieue ; et un troisième déclara que ce pouvait être encore pire, qu'il
avait assisté à une pendaison où, le temps que l'homme soit mort, son cou avait
un pied de long.
Les vieilles femmes
formaient un groupe de l'autre côté de la place, aussi loin que possible des
jeunes gens qui risquaient de crier des remarques vulgaires à leurs
grands-mères. Elles s'éveillaient toujours de bon matin, les vieilles, même si
elles n'avaient plus à s'inquiéter de bébés ni d'enfants ; elles étaient les
premières à avoir leurs feux allumés et leurs âtres balayés. Leur meneuse
reconnue, la robuste veuve Brewster, vint les rejoindre, roulant un tonneau de
bière aussi facilement qu'un enfant pousse un cerceau. Elle n'avait pas eu le
temps d'ôter le couvercle qu'attendait déjà une petite foule de clients avec des
cruches et des seaux.
Le bailli du prévôt
ouvrit la grande porte, pour laisser entrer les paysans qui habitaient le
faubourg, dans les maisons adossées au mur de la ville. Les uns apportaient des
œufs, du lait et du beurre frais à vendre, d'autres venaient acheter de la bière
ou du pain, d'autres encore restèrent sur la place du marché en attendant la
pendaison. De temps en temps, les gens levaient la tête, comme des moineaux
inquiets, et jetaient un coup d'œil au château sur la colline qui dominait la
ville. Ils voyaient la fumée monter régulièrement de la cuisine et parfois la
lueur d'une torche derrière les fenêtres en meurtrière du donjon de pierre. Et
puis, au moment où le soleil devait commencer à se lever derrière l'épais nuage
gris, les lourdes portes en bois du poste de garde s'ouvrirent et un petit
groupe apparut. Le prévôt allait en tête, montant un beau cheval noir, suivi
d'un char à bœufs transportant le prisonnier ligoté. Derrière le chariot
chevauchaient trois hommes. Bien que d'aussi loin on ne pût distinguer leurs
visages, leurs vêtements révélaient qu'il s'agissait d'un chevalier, d'un prêtre
et d'un moine. Deux hommes d'armes fermaient la marche.
Ils s'étaient tous rendus
la veille à la cour de justice du comté, qui se tenait dans la nef de
l'église. Le prêtre avait surpris le voleur la main dans le sac ; le moine avait
identifié le calice d'argent comme appartenant au monastère ; le chevalier était
le suzerain du voleur, il l'avait reconnu comme un fugitif ; et le prévôt
l'avait condamné à mort.
Tandis qu'ils descendaient
lentement la colline, le reste de la ville se groupa autour de
l'échafaud. Parmi les derniers à arriver, les notables : le boucher, le
boulanger, deux tanneurs, deux forgerons, le coutelier et l'armurier, tous avec
leurs épouses.
La foule était d'humeur
bizarre. En général on aimait bien une pendaison. Le prisonnier était
d'ordinaire un voleur et ils détestaient les voleurs avec la passion de gens qui
ont durement gagné ce qu'ils possèdent. Mais ce voleur-là n'était pas comme les
autres. Personne ne savait qui il était ni d'où il venait. Ce n'étaient pas eux
qu'il avait volés, mais un monastère à huit lieues d'ici.
Il avait volé un calice
orné de joyaux, un objet d'une si grande valeur qu'il était pratiquement
impossible à revendre : ce n'était pas comme voler un jambon, un couteau neuf ou
une belle ceinture, dont la perte nuirait à quelqu'un. On ne pouvait pas haïr un
homme pour un crime si absurde. Il y eut quelques lazzis et quelques railleries
quand le prisonnier pénétra sur la place du marché, mais les injures manquaient
de conviction et seuls les jeunes garçons se moquaient de lui avec un certain
enthousiasme.
La plupart des gens de
la ville n'étaient pas au tribunal, car les jours de cession n'étaient pas
fériés, et ils devaient tous gagner leur vie, aussi était-ce la première fois
qu'ils voyaient le voleur. Celui-ci paraissait très jeune, entre vingt et trente
ans. De taille et de stature normales, il avait pourtant un aspect étrange, dû à
sa peau aussi blanche que la neige sur les toits, à ses yeux protubérants d'un
vert clair extraordinaire et à ses cheveux couleur carotte. Les filles le
trouvèrent laid ; les vieilles le plaignirent ; et les petits garçons rirent en
se roulant par terre.
Le prévôt était un personnage
familier, mais les trois autres hommes qui avaient scellé le destin
du voleur étaient des étrangers. Le chevalier, un gros homme aux cheveux jaunes,
était de toute évidence quelqu'un d'une certaine importance, car il montait un
destrier, une énorme bête qui coûtait autant d'argent qu'un charpentier en gagne
en dix ans. Le moine était beaucoup plus âgé, au moins cinquante ans, un grand
homme maigre affalé sur sa selle, comme si la vie était pour lui un fardeau
accablant. Le plus remarquable était le prêtre, un jeune homme au nez pointu et
aux cheveux noirs et plats, vêtu d'une robe noire et chevauchant un étalon bai.
Il avait l'air vif et dangereux d'un chat noir flairant un nid de
souriceaux.
Un gamin visa avec soin
et cracha sur le prisonnier. Il avait bien ajusté son tir et toucha l'homme
entre les yeux. Le condamné grommela un juron et voulut se jeter sur le
cracheur, mais il était retenu par les cordes qui l'attachaient aux ridelles de
la charrette. Incident banal, sinon que le prisonnier parlait en français
normand, la langue des seigneurs. Ce jeune homme était-il de haute naissance ?
Ou simplement loin de chez lui ?