J'arrive où je suis
étranger
Louis Aragon.
Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est
passager C'est un peu fondre comme le givre Et pour le vent être
léger J'arrive
où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière D'où viens-tu mais où vas-tu
donc Demain qu'importe et qu'importe hier Le cœur change avec le
chardon Tout
est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe Touche l'enfance de tes
yeux Mieux vaut laisser basses les lampes La nuit plus longtemps nous va
mieux C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne Mais l'enfant qu'est-il
devenu Je me regarde et je m'étonne De ce voyageur inconnu De son visage et ses pieds
nus
Peu à peu tu te fais silence Mais pas assez vite
pourtant Pour ne sentir ta dissemblance Et sur le toi-même
d'antan Tomber la poussière du
temps
C'est long vieillir au bout du compte Le sable en fuit entre
nos doigts C'est comme une eau froide qui monte C'est comme une honte qui
croît Un
cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose C'est long de renoncer à
tout Et sens-tu les métamorphoses Qui se font au-dedans de
nous Lentement plier nos
genoux
O mer amère, ô mer profonde Quelle est l'heure de tes
marées Combien faut-il d'années-secondes A l'homme pour l'homme
abjurer Pourquoi pourquoi ces
simagrées
Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est
passager C'est un peu fondre comme le givre Et pour le vent être
léger J'arrive
où je suis étranger
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