Extraits
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Quelles que
soient les croyances des habitants du voisinage, le sanctuaire de sainte
Sophia a des origines plus modestes. Julien le devina dès qu'il remarqua la
similitude de noms entre la sainte et le mentor féminin du manuscrit de Manlius.
Ce fut en effet là que Sophia passa les dernières années de sa vie, mais pas du
tout en évangélisatrice chrétienne.
Après l'avoir arrachée à
Marseille, ville qui devenait trop dangereuse, Manlius Hippomanes
l'installa en ce lieu. Sans son soutien, l'avenir de Sophia eût été fort
lugubre. Sa famille n'avait jamais été très fortunée et elle ne touchait
comme revenus que les loyers de quelques maisons, boutiques et autres lopins de
terre dans l'arrière-pays, mais tout cela ne rapportait plus grand-chose. La
population diminuait, le commerce se tarissait et les locations se faisaient
extrêmement rares. Seul le montant de l'impôt ne changeait pas.
Au fil des
ans, Olivier obtint une quarantaine de manuscrits originaux. Il acheta
la plupart de ces textes soit en espèces, soit avec des promesses de faveurs ou
d'interventions. Il en vola quatre parce qu'on les négligeait, qu'ils étaient en
danger ou qu'il trouva antipathiques leurs soi-disant protecteurs. A son avis,
il aurait pu en subtiliser beaucoup d'autres. En tout cas personne ne remarqua
ces vols.
Le songe de Scipion,
le testament philosophique de Manlius, fut l'un des manuscrits qu'il recopia
lui-même avec ardeur, s'abstenant de glisser l'original dans son sac uniquement
parce que le vieux moine qui le lui laissa voir était très gentil, et d'une
façon étrange, fort respectueux de ces manuscrits qu'il n'avait jamais pris la
peine de lire lui-même.
La peste
atteignit Avignon le mois suivant, au début de mars, à une période de
l'année où même près de la Méditerranée il n'y a guère de quoi se réjouir. Des
mois de vent ont déjà sapé la vitalité des habitants, fatiguant leur corps et
avachissant leur âme. L'origine du fléau se trouvait très probablement à
Marseille : un marin, un prêtre ou un colporteur à bord d'un bateau avait
apporté la maladie puis avait gagné l'intérieur du pays par voie fluviale pour
présenter une pétition à la curie, vendre ses marchandises au marché ou
simplement rejoindre sa famille. Aucun lieu n'était à l'abri.
Julien ne sut
pas exactement combien de loi il enfreignit pendant les cinq jours qui
suivirent. Un bon nombre, sans aucun doute. Il n'en tirait aucun plaisir, mais
il n'avait pas peur non plus. Il ne pensa même pas qu'il pouvait exister une
autre solution. Seule la sécurité de Julia compait pour lui. Cela correspondait
aussi à un étrange changement d'attitude de sa part, puisque jusqu'alors il
n'avait jamais
marché sur le gazon d'un jardin
public.. Durant toute cette période, la plupart des gens arrêtés et envoyés dans
des camps le furent parce qu'ils n'avaient pas osé enfreindre des lois qu'ils
savaient cruelles, tout en étant conscients qu'y obéir causerait leur propre
malheur. Il n'était pas facile de rompre avec l'habitude de respecter la loi et
l'ordre. Mais une fois celle-ci rompue on avait du mal à la
réparer.
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