René
Char (1907-1988)
Les Inventeurs
(1949).
Ils sont venus,
les forestiers de l'autre versant, les inconnus de nous, les rebelles à nos
usages. Ils sont venus nombreux. Leur troupe est apparue à la ligne de
partage des cèdres Et du champ de la vieille moisson désormais irrigué et
vert. La longue marche les avait échauffés. Leur casquette cassait sur
les yeux et leur pied fourbu se posait dans le vague.
Ils nous ont
aperçus et se sont arrêtés. Visiblement ils ne présumaient pas nous trouver
là, Sur des terres faciles et des sillons bien clos, Tout à fait
insouciants d'une audience. Nous avons levé le front et les avons
encouragés.
Le plus disert
s'est approché, puis un second tout aussi déraciné et lent. Nous sommes
venus, dirent-ils, vous prévenir de l'arrivée prochaine de l'ouragan, de
votre implacable adversaire. Pas plus que vous, nous ne le connaissons
Autrement que par des relations et des confidences d'ancêtres. Mais
pourquoi sommes-nous heureux incompréhensiblement devant vous et soudain pareils
à des enfants?
Nous avons dit
merci et les avons congédiés. Mais auparavant ils ont bu, et leurs mains
tremblaient, et leurs yeux riaient sur les bords. Hommes d'arbres et de
cognée, capables de tenir tête à quelque terreur mais inaptes à conduire
l'eau, à aligner des bâtisses, à les enduire de couleurs plaisantes, Ils
ignoraient le jardin d'hiver et l'économie de la joie.
Certes, nous
aurions pu les convaincre et les conquérir, Car l'angoisse de l'ouragan est
émouvante. Oui, l'ouragan allait bientôt venir; Mais cela valait-il la
peine que l'on en parlât et qu'on dérangeât l'avenir? Là où nous sommes, il
n'y a pas de crainte urgente.
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