GUILLEVIC
SUPPOSE
Suppose Que je vienne et
te verse un peu d'eau dans la main Et que je te demande de la laisser
couler Goutte à goutte dans ma bouche
Suppose Qu'il n'y ait
que le vent à rencontrer sur terre Et que je te demande de souffler à sa
place Et d'agir avec moi comme avec un trois-mâts
Suppose Que la vague et
le sable jurent de te dissoudre Et que je te demande de m'étreindre à ce
point Qu'on ne puisse te prendre et me laisser un corps
Suppose Que je me
laisse un jour marcher sur l'océan Et que je te demande de m'appeler pour
voir Si ton cri peut changer mes rapports avec l'eau
Suppose Que pour moi
l'étendue soit de l'ordre du cri Et que je te demande de ramener son
règne À la plainte habitant le creux des coquillages
Suppose Qu'un oiseau
dans l'hiver chante comme on triomphe Et que je te demande d'accompagner la
plaine, De façon qu'elle aborde au niveau de ce chant
Suppose Que le vol
d'un oiseau nous invite au voyage Et que je te demande de nous blottir en
lui Pour avec lui voler à travers la pénombre
Suppose Que la mer
ait envie de nous voir de plus près Et que je te demande d'aller lui
répéter Que nous ne pouvons pas l'empêcher d'être seule
Suppose Que
près de nous la mer se mette à grommeler Et que je te demande de n'avoir
d'autre peur Que celle que nous donne son silence étranglé
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